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Non fugit umbra, fugis
Tous les matins, fermer les volets me massacre le cœur.Clore les volets pour échapper au soleil, garder le peu de fraîcheur à l’intérieur ; se priver de la lumière, par nécessité.Je ferme ces volets et le noir progresse, coule sur mes pieds, agrippe mes chevilles. Je sens monter l’ombre, un centimètre après l’autre, le long de la vitre – à l’intérieur de moi, jusqu’aux cernes sous mes yeux. Une encre épaisse, que la plume inerte peine à vider. C’est une sensation insupportable. Je me noie, et les impressions remontent. Je ne respire plus, et à la surface du monde, je n’existe plus.C’est une sensation que je connais par cœur. Respirer…
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De l’errance
Milles mots, étalés comme une crème épaisse sur les pages blanches. Milles mots maintes fois écrits, une nouvelles fois écrasés, lâchés, abandonnés au fond d’un bol, cuisinés sans saveur. Des répétitions à foison, mon esprit en est plein, à chaque minute, et refait inlassablement la même recette en variant les ingrédients un à un. Ce n’est pas que je sois une mauvaise cuisinière, c’est juste qu’au fond, c’est juste maltraiter des casseroles qui m’intéresse. Ça m’occupe l’esprit. Même si je ne retiens rien des recettes ; il n’est pas dupe, et il n’aime pas remplir les tiroirs de ma mémoire d’autres choses que de nostalgie, d’inquiétudes et de colères. Ce…
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Platitudes
Dernière arête. J’ai le souffle court, et sous mes jambes, le sol s’effrite juste assez pour m’offrir la sensation grisante de l’altitude, le vertige, l’adrénaline qui me manquait pour embrasser pleinement le paysage. Pour hurler à l’intérieur de moi “je suis là, je suis en haut”, j’ai dépassé mon corps et transcendé la gravité qui m’écrasait, des centaines de mètres plus bas. Des centaines de mètres. Il n’y a pas d’échelle, mes yeux transmettent une carte postale qui n’a pas de sens à mon cerveau en pleine hallucination. Il n’y a rien de réel, là-haut. Des vues, des sommets, d’autres aiguilles, des sentiers invisibles. Ces chemins que l’on ne voit…
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Précipice
S’il y a quelque chose à sauver, ce sera la vue des étoiles filantes pendant ma chute. S’il y a quelque chose dont il faudra se souvenir, c’est le silence.Ne regarde pas en bas. Imagine la douleur du ciel, percé de milliards d’aiguilles, simplement pour nous offrir ce spectacle nocturne. Sais-tu que la nuit ne cesse jamais d’exister, même quand tu te dores au soleil, même lorsque tes yeux se ferment de fatigue ? La nuit ne cesse jamais de souffrir, dans le silence qu’on lui accorde. Peux-tu imaginer une douleur aussi infinie que l’univers, et la colère tue qui bouillonne, s’étend, frémit plus loin que toutes les misérables existences…
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Hurleurs
La terre est molle, et s’accroche à mes pas. Une à une les feuilles se détachent et je reste nez au vent, admirant leur ballet silencieux en harmonie parfaite avec la mue de ma peau. J’appelle la pluie pour rincer les dernières écailles, j’appelle de mes vœux les premières tempêtes qui laveraient enfin ce qu’il reste de moi.Jusqu’ici, pourtant, rien ne chante, rien ne tonne, rien ne souffle ; je respire par petites lampées, les yeux rivés sur les feuilles d’or saupoudrant les fougères et la boue. L’ombre qui s’étire n’altère pas encore leurs reflets. Je ne vois qu’elles. Je ne pense qu’à elles. Je n’existe que pour l’ourlet délicat,…
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Rouge cerise, bleu délavé
Elle bat la mesure sous la pluie, et à chaque battement l’eau éclate sur le bitume. J’imagine une musique sur le rythme de ses pas immobiles, quelque chose de haché avec une légère vibe 60s, en admirant le tremblement de ses mains qui gouttent. En trame de fond, derrière les nappes des cordes lancinantes, il y aurait une voiture rouge cerise comme le foulard à son cou, et un ciel bleu pâle comme les veines de ses bras. J’admire son impatience qui la réchauffe, de derrière la vitre, et la fumée qui frôle ses épaules nues. Quelle étrange idée que de sortir sous une pluie de printemps, en jean &…