Et maintenant, on en fait quoi de tout ça ?
Je prends le clavier en grippe, pour taper vite, encore plus vite que les caractères qui s’affichent mollement sur l’écran. Je sais déjà que je ne vais pas réussir à faire vivre ce que j’ai envie de dire, que ce ne sera jamais lu comme je l’imagine, jamais compris en droite ligne. C’est juste une question lancinante depuis ce matin : et maintenant, on fait quoi de tout ça ? De tout ce qu’on a traversé ? J’ai l’impression d’être coincée dans le même bouchon depuis des mois et des mois ; on a freiné un peu fort, en se disant que ça ne durerait pas très longtemps ; on avait de quoi boire, de quoi manger, de la batterie et des airs à la con à chanter. On allait prendre le temps de se découvrir, même avec ceux qui ronflaient fort sur la banquette arrière, prendre le temps d’admirer le paysage, de faire coucou par la vitre aux autres automobilistes.
Ça a duré 2h, on a commencé à se faire braire, et on a passé les semaines suivantes à se regarder le nombril en essayant de respirer correctement entre deux crises de panique. On a même pas appelé Tonton. Les bourgeons ont éclos sans nous, le printemps s’est tiré sans qu’on ait le temps de voir l’herbe devenir fluo. Et puis soudain, le bouchon a pété, on a écrasé l’accélérateur, et ceux qui ronflaient ont été secoué comme des pruniers en fleurs. Revivre ! Aller vite, fort. Foncer dans le premier resto en bord de route, voir les copains, prendre un verre, se redonner des couleurs. L’été, enfin, presque comme s’il n’y avait rien.
Alors pourquoi de temps en temps, on ne se sentait pas très bien ?
On a bien vu les panneaux, on a bien vu les avertissements devenir plus présents, on a bien vu les stations se vider et notre énergie avec. Rebelote. Tu parles d’une préparation de fêtes.
Et puis quoi encore ? L’envie d’écraser le champignon a disparu, le chauffage fonctionne et sent la poussière, et sur le pare-brise, on ne voit plus grand chose tant il y a de buée. Ça n’a pas grande importance puisque de toute façon, rien n’avance. Tout est gris, tout est chiant, et les automobilistes d’à côté sont les mêmes qu’avant, sauf qu’on ne supporte plus leurs trognes, qu’on a plus envie de les aimer ; on a plus beaucoup d’énergie, à peine assez pour soi-même.
Au début, on a cassé des murs et fait des projets sur la comète ; aujourd’hui les murs se renferment sur nous-mêmes. Janvier approche et il a déjà le goût maudit d’une gueule de bois au mauvais pinard. Cette année, les grandes résolutions se font discrètes, elles énervent déjà avant d’être nées.
Il y a toujours, en tête de cortège, des fous du volant agitant de joyeux drapeaux au vent, en scandant des mantras, en se tatouant de la bonne humeur ; ce qu’ils nous emmerdent, tiens. Ils ne pourraient pas chouiner comme tout le monde ? Ils ne sont pas fatigués, ils ne pourraient pas donner un peu de leur énergie aux autres, au lieu de les faire culpabiliser ? Si je lis encore une seule phrase cucul la praline sur un fond de couleur publiée sur un réseau social, je hurle.
C’est ok, d’être en colère. C’est ok d’agiter des banderoles en tête de cortège, aussi. C’est ok de ne pas se sentir bien quand on en voit pas la fin. Ce que je me demande surtout, c’est : et maintenant, j’en fais quoi de tout ça ?
Refermer la parenthèse et faire taire une bonne fois pour toute la métaphore filée serait une bonne chose, mais on ne va pas se mentir : la route, on ne va pas la lâcher. Pas tout de suite. Pas tant que l’envie nous tenaille d’aller voir au-delà du virage, au-delà du prochain sommet, au-delà du prochain point sur la carte.
Ni la route, ni l’instabilité, ni le sentiment d’absolue liberté qui, année après année, se précise et s’impose.
Cette liberté, ce n’est pas aller au bout du monde. C’est pouvoir, tous les jours, faire des choix qui me sont propres, qui me font du bien, qui ne répondent pas à des conventions mais au désir de me faire plaisir, d’être vraie avec celles & ceux qui ont eu l’étrange idée de monter à bord. Prendre un chemin différent si j’en ai envie, retrouver l’autoroute de temps en temps, ne pas justifier chaque coup de volant. Accélérer beaucoup, et souvent. Peut-être que cela a accentué mon envie de ne jamais réserver de place au port, et de jeter l’ancre comme de la lever quand ça me chante.
On a un nouveau point sur la carte ; un point qui découvre des milliers de chemins alentours. Je nous connais : on va faire les plus beaux, on va les apprendre par cœur, on va les aimer avec passion ; et puis un jour peut-être, il y aura un frisson, la portance idéale d’un vent contraire sous nos ailes, et on filera joyeusement ailleurs, plein de rêves et d’encore.
Plus on marche, plus nos pas se font légers ; plus on marche, moins on peut s’arrêter.
En montagne, je pense à la mer ; sur le sable, la neige me fait rêver. Est-ce mal d’aimer tout ce qui mérite de l’être, après tout ?
Je me demande comment vous vivez la route, dans vos bulles à vous.
2 Comments
Dominique Caumiant
J’adore te lire ……. et comme je l’ai déjà dit … tout garder, tout rassembler … et un jour publier
C’est …. une mine, un bonheur à lire
Luxfugae
Merci beaucoup Dominique, ça fait chaud au cœur de lire ce petit message !