Goutte à goutte
Le silence s’impose, petit à petit. Il n’y a dans l’air que le cri de quelques mouettes, et au loin, une vague rumeur, comme une onde. Le soleil éclabousse les toits mais la ville elle, sonne comme lorsqu’il neige ; tout est lent, assourdi. Sur un bout de terrasse, deux silhouettes mangent en silence, sans oser faire un seul bruit de fourchette. J’ai l’impression que je pourrais distendre le paysage qui s’étale entre les deux montants de la fenêtre, l’étirer, le modeler jusqu’à ce qu’il devienne flou, filandreux, flasque.
Je ferme les yeux mais je l’entends toujours. Se superposant au silence, un crissement féroce, encore loin pourtant, mais qui se rapproche. Les grains de sable dans le désert de mes jours ; l’avalanche de la dune, l’ennui qui menace de m’ensevelir. Ce serait brûlant et poussiéreux, lent et sinueux. Ce ne serait pas agréable.
J’attrape mon téléphone. Sans ouvrir les yeux – pourquoi faire ? Mes doigts connaissent par cœur la danse ; et au fond, je n’ai pas envie de lire ou de voir les autres. Je ne veux pas savoir qu’ils ou elles vont mal ; je ne veux pas savoir qu’ils ou elles vont bien. J’ai écumé tous les jeux stupides et abrutissants que j’avais déjà installé, et je me dégoûterais d’en trouver de nouveaux. Je laisse mes doigts agir pourtant, sans regarder. Ça les occupe. Ce n’est qu’une manie, un petit rituel. Ça noircit un peu le voile devant mes yeux, peut-être. Ça englue le reste de mes pensées. Mais qui suis-je pour empêcher mes doigts de bouger ?
Le soleil se défile ; étalée sur le sol, j’ai un peu frais. Je me laisse rouler pour rattraper un peu de chaleur, jusqu’à rencontrer le mur. J’entends le chat miauler ; nul besoin de montre, d’horloge, de pendule. De toute manière, je tiens le compte de chaque seconde qui s’égrène. Mon ennui fait des tas de sable qui s’écroulent petit à petit, et que je sens glisser le long de mon corps. Peut-être qu’à force, il finira par m’ensevelir.
Ce ne serait pas très agréable.
Sur une idée de : Louise, 17.03.2020 – « Ennui ».