Soif
Au coin de nos yeux, sang et sel s’enlacent. Du temps nous avons perdu la trace, et nul nord ne nous ombragera encore. Quelques branches décharnées émergent, et le vent hurle en lacérant nos peaux.
Le coin de mes lèvres éclate quand je me moque de la mort, et ma gorge siffle dans un semblant de rire. J’étends les bras vers le bleu vautour. D’en haut, les rameaux secs doivent dessiner les os de mes ailes décharnées. D’en haut, je dois me confondre entre la piste blanche et les crevasses mauves et rosâtres des trépassés. D’en haut, d’un coup d’aile, avec l’aide du vent, nous pourrions encore brûler du feu sacré, et couvrir nos ennemis de cendres.
Si les dieux avaient pitié de nous, commanderaient-ils à la pluie de venir nous noyer ? Mon corps en train de bouillir pourrait sécher un torrent entier. Je me fonds dans le métal et le cuir, et ensemble nous fondons une nouvelle matière. Une arme dérisoire.
Si les vautours volaient encore, viendraient-ils en premier crever nos yeux ou nos cloques ? Étendraient-ils leurs ailes superbes pour prolonger de quelques minutes encore nos misérables existences ? Auraient-ils envie de nos corps, imagineraient-ils en arrachant nos peaux les beautés que nous avons vues, les caresses que nous avons reçues, les héros que nous serions devenus ?
Du nord ils ont perdu notre trace, et nul poète ne louera nos exploits à la lueur du feu sacré.
Je suis la poussière que ma gorge aspire ; je suis le rire qui siffle entre mes lèvres. Je suis le sang qui nourrit la piste de calcaire.
Sur une idée de : Lucile, 19.03.2020 : “des petits cailloux blancs”.